« Si Rochecardon m’ était conté… »
Un jour de 1539, le 15 mai précisément, un roi dénommé François 1er, est en séjour à Lyon. Avec toute sa cour, il décide une belle promenade par voie d’eau « en l’Isle », c’est-à-dire l’Isle Barbe. Au retour, la gent royale fait une halte en « un jardin de plaisance où trouverons et verrons des dames en souffisance… » Ce jardin se trouve à « la Roche, place de grand’ propreté »… Le poète Bonaventure Des Périers, faisant partie de la suite du Roi, a narré le déroulement de cette journée. Il cite également Albert, joueur de flûte du Roi, qui près d’une fontaine et certainement emporté par la beauté du lieu, « ha sacré » celle-ci qui prendra désormais le nom de fontaine Albertine…
« […] je ne l’ai guère quitté. Je dînai tous les jours chez lui ou dans ses sociétés intimes, comme chez Madame Boy de la Tour […] chez laquelle nous passâmes plusieurs jours à la campagne. Sa maison, appelée Roche-Cardon est située dans un lieu agreste où coule, à mi-coteau, un petit ruisseau […]. Au bas de la colline est un vallon où un autre ruisseau, beaucoup plus considérable, serpente sur des cailloux couverts de mousse […]. Rousseau herborisait en admirant cette belle nature […]»
Cet écrit est de Horace Coignet, grand ami de Jean-Jacques Rousseau. Effectivement, notre illustre philosophe-écrivain a séjourné en 1770, à l’invitation de la famille Boy de la Tour, alors propriétaire du château. Pendant son séjour à Rochecardon il confie à H. Coignet, la musique du « Pygmalion », mélodrame dont les représentations sont données avec succès à l’ Hôtel de Ville de Lyon. Jean-Jacques Rousseau, passionné de botanique, parcourt les chemins ombragés de cette contrée. En s’attardant dans ces lieux enchanteurs propices à la rêverie, il a gravé sa fameuse devise « Vitam impendere vero » (consacrer sa vie à la vérité ) sur le tronc d’un grand arbre près d’une source…La fontaine de J.J. Rousseau est-elle aussi la fontaine Albertine? Nous en doutons et cela mériterait une recherche approfondie.
Il y a des lieux comme cela qui se distinguent par la grande Histoire et les petites histoires…où des personnages illustres laissent des traces, des noms… C’est le cas du site de Rochecardon, qui par sa situation privilégiée tient un rôle historique important. Couvrant les premières pentes des Monts d’Or à sa pointe sud, abritant le confluent de deux ruisseaux dont les vallées pénètrent au coeur même du massif, le site a été au fil des siècles, aménagé, transformé. Un poste d’observation à l’époque romaine puis une maison forte médiévale en marquent déjà l’empreinte, d’après certains auteurs. La configuration géographique donne tout naturellement le nom de La Roche au lieu-dit. Un colombier dont les bases datent probablement du 15e siècle surmonte le rocher; il s’appellera plus tard le pigeonnier de J.J. Rousseau…
En 1620, la famille Camus, propriétaire depuis un siècle, vend la “seigneurie et maison noble de la Roche” à un certain Horace Cardon. D’origine italienne, Horace émigre à Lyon très jeune et fait fortune dans l’imprimerie. Il voue une fidélité sans faille au Roi Henri IV. En 1605 , ayant défendu la ville de Lyon contre l’irruption par la porte d’Aynay d’un contingent armé de la Ligue, il est anobli par le roi de France. Sa demeure citadine est l’un des plus beaux hôtels de la rue Mercière. Le domaine de la Roche devenant alors Roche-Cardon, est sa résidence de campagne, la “ maison des champs”. C’est une très vaste possession «avec bois, haute futaie, garennes, deux moulins, vignes et prés s’étendant jusqu’à la Saône» . Horace CARDON est honoré à toutes les charges consulaires de sa ville; il est parmi les bienfaiteurs de Lyon et son testament comble de gratifications toutes les oeuvres sociales, surtout les hôpitaux. “D’or, à une fleur de cardon au naturel, tigée et feuillée de sinople”, tel est le blason d’Horace Cardon…
Depuis, le quartier de Rochecardon (*) a subi de bien nombreuses modifications. L’industrialisation et l’urbanisation sont passées par là, le morcelant, le défigurant, lui faisant perdre le caractère romantique où de nombreux peintres et graveurs lyonnais trouvèrent pourtant leur source d’inspiration… Un début de restauration a permis l’ouverture à ciel ouvert du confluent des ruisseaux d’Arche et de Rochecardon. Les promeneurs peuvent admirer plus aisément le château style Renaissance, avec sa tour hexagonale et ses fenêtres à meneaux. Ce site mérite encore que nous lui réservions tous les égards et les attentions qui lui sont dus. L’approche du tricentenaire de la naissance de J.J.Rousseau en 2012 doit être l’occasion d’une mise en valeur culturelle, historique et architecturale de ce quartier.
Claude MILLET
association ROCH’NATURE
* : à cheval sur la commune de St Didier et Lyon-Vaise